Archive | novembre 2023

Un besoin de formation différent à Montréal

On a l’habitude de compartimenter le réseau collégial suivant le degré de financement public des établissements qui composent le réseau : il y a les cégeps, les collèges privés subventionnés et les collèges privés non subventionnés. Ça se comprend que l’on puisse penser ainsi, comme chacun de ces « sous-réseaux » est soumis à des règles et à des contraintes particulières. On sait, par exemple, comment la « construction des horaires » peut être un casse-tête pour un cégep disposant d’un grand nombre de classes, pas toutes dotées du même équipement, et réparties dans plus d’un bâtiment, voire plus d’un campus. En contrepartie, la gestion des locaux est rarement un défi pour des collèges privés non subventionnés. Il y a aussi des différences qui caractérisent les uns et les autres, par exemple, en ce qui a trait aux droits de scolarité.

Je me suis demandé cependant si c’était la seule perspective qu’on pouvait adopter sur le réseau collégial dans son ensemble, si on ne pouvait pas classer les collèges autrement. Je me suis prêté à l’exercice et je vous invite à me suivre.

Je concède, au passage, qu’il y a plus d’une façon de classer les collèges. Par exemple, les cégeps de l’île de Montréal et les autres cégeps. Néanmoins, le classement des collèges suivant les cégeps, les collèges privés subventionnés et les collèges privés non subventionnés est particulièrement présent, et conditionne certaines réflexions, si bien que je me suis demandé s’il n’était pas utile – pas seulement pour les collèges privés, mais aussi pour la clientèle comme telle – d’essayer de regarder le réseau autrement.

J’ai constaté qu’il y a un grand nombre d’inscrits dans des programmes d’attestations d’études collégiales (AEC) à Montréal. Les attestations d’études collégiales sont des programmes de plus courte durée que le DEC (diplôme d’études collégiales), et qui ne comportent aucun cours de formation générale (français, philo, éducation physique, etc.) Je me suis demandé si l’examen de la proportion des inscrits à des attestations d’études collégiales sur l’ensemble des inscrits à la formation technique est un angle d’approche intéressant, qui pourrait révéler un besoin de formation nettement différent à Montréal, ce qui ferait en sorte que la région se démarquerait nettement des autres, et commanderait une approche différente, en matière de réponse aux besoins de formation exprimés par la population.

Dans l’ensemble du Québec

Les AEC et les DEC techniques font partie de la formation technique : ce sont des programmes d’études visant à habiliter une personne pour qu’elle puisse exercer un emploi à la suite de sa diplomation. J’ai compilé le nombre d’inscrits dans les DEC techniques et les AEC dans tous les cégeps au Québec en 2021-2022. Les inscrits dans les attestations d’études collégiales (AEC) représentent 20 % des inscrits en formation technique dans les cégeps.

Comme je me demande si la grande région de Montréal a un besoin de formation différent des autres, j’ai voulu connaître la proportion des inscrits aux AEC, par rapport à tous les inscrits de la formation technique, en ne conservant que les cégeps en dehors de la grande région de Montréal, mais aussi chez les cégeps de la région administrative de Montréal (la région 06, soit l’île de Montréal comme telle) et ceux de la grande région de Montréal. Dans tous les cas, la proportion tourne autour de 20 %.

Il faut rappeler que cette proportion présente des données, dans tous les cas, pour une grappe de cégeps, et non pas chaque cégep pris individuellement. Quand on étudie les statistiques propres à chaque cégep, on se rend compte que certains comptent une plus grande proportion d’étudiants inscrits dans leurs AEC, alors que d’autres, moins. Cependant, quand on examine des grappes en particulier – tous les cégeps, les cégeps hors la grande région de Montréal, les cégeps de la grande région de Montréal et les cégeps de l’île de Montréal – la proportion tourne toujours autour de 20 %.

À des fins de clarté, il faudrait peut-être expliquer ce que j’entends par « la grande région de Montréal ». Il ne s’agit pas, comme on sait, d’une région nettement délimitée. Grosso modo, je m’en suis tenu à la banlieue, voire la conurbation : j’ai inclus, par exemple, le Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne et L’Assomption, mais je n’ai pas compté le campus de Joliette. J’ai inclus les cégeps Montmorency et Édouard-Montpetit, mais exclu le cégep de Valleyfield et celui de Sorel, même s’il a un centre de formation continue à Varennes.

On pourrait certes raffiner les statistiques. Je pense que cela n’aurait pas un grand impact sur les résultats ni le constat qui en découle.

Le privé

Je me suis intéressé, par la suite, aux collèges privés subventionnés. Pour faire simple, comme il y a peu de collèges privés subventionnés en banlieue (seuls Ellis et Teccart à Brossard me viennent en tête), j’ai fait un clivage simple : la région 06, soit l’île de Montréal, et tout le reste du Québec. La proportion des étudiants de la formation technique inscrits dans une AEC, chez les CPS à l’extérieur de la région 06 (l’île de Montréal), est de 19 %, ce qui s’aligne sur la proportion des cégeps. Par contre, la proportion d’étudiants de la formation technique inscrits dans une AEC, pour ce qui est des collèges privés subventionnés qui se trouvent sur l’île de Montréal, grimpe à 48 %.

Et puis, il y a tous les collèges privés non subventionnés, qui se trouvent, sauf exception, tous sur l’île de Montréal. Ceux-ci, sauf exception, n’offrent que des AEC, dans la formation technique : ce sont 10 235 inscrits qui s’ajoutent, pour l’île de Montréal.

Bref, avec la contribution du privé, on obtient une proportion de 40 % des inscrits à la formation technique, des collèges de l’île de Montréal, tout type de collège confondu, qui étudie dans une attestation d’études collégiales, et de 35 % pour la « grande région de Montréal », alors que la proportion n’est que de 20 % à l’extérieur de la grande région de Montréal. Un écart de 15 %, voire de 20 %, est substantiel, et ne peut découler que de la seule marge d’erreur statistique. On constate qu’il y a un besoin de formation différent, pour la région de Montréal, au niveau collégial, et que les collèges de la région, dont notamment les collèges privés, le desservent.

Et si on avait poussé le marché grand-montréalais à opter plus pour des AEC ?

Il arrive parfois que des clients adoptent d’eux-mêmes un nouveau produit – on a délaissé les téléphones fixes pour les cellulaires, par exemple – et il arrive parfois, aussi, que les entreprises incitent à un changement dans le marché, quant aux habitudes des consommateurs. Ce sont des choses connues en marketing, il n’y a rien de nouveau à le dire. Je me suis donc demandé si le marché de la grande région de Montréal était différent à la suite d’un effort à l’inciter à opter, plutôt, pour des programmes de plus courte durée.

Plusieurs collèges privés non subventionnés étant des PME, voire des petites entreprises, je doute que ceux-ci aient pu investir de grandes sommes pour mettre en place plusieurs campagnes de marketing au fil du temps et réussir à changer le comportement du consommateur dans la grande région de Montréal, pour qu’une plus grande proportion d’entre eux optent pour se former dans des AEC, plutôt que des DEC. Ce que j’observe de la publicité des collèges privés subventionnés ne me donne pas l’impression qu’ils mettent de l’avant les attestations d’études collégiales.

S’il est vrai, en outre, qu’une plus grande offre stimule un marché, les DEC demeurent nettement présents dans l’offre globale, et même proposés par des collèges privés. De plus, la proportion des étudiants s’inscrivant dans un DEC technique demeure non négligeable, même dans la région de Montréal : c’est la moitié des inscrits, pour un CPS, et 80 % de la clientèle, pour les cégeps. Bref, un type de produit n’a pas éclipsé l’autre. Je doute aussi que la plus grande stimulation d’un marché par une plus grande offre sur la table et de la publicité dans le métro explique, à elle seule, la proportion nettement plus grande d’inscrits dans les attestations d’études collégiales dans la grande région de Montréal et dans la région administrative de Montréal en particulier.

Cela m’amène à croire que la plus grande proportion d’étudiants inscrits dans une AEC dans la région administrative de Montréal (06) et la grande région de Montréal témoigne surtout qu’il y existe un besoin de formation nettement différent, par rapport au reste du Québec. Cela suggère peut-être, de la part des organismes gouvernementaux, une approche différente dans l’optique de combler les besoins de formation dans la grande région de Montréal.

L’impact de l’imposition de la connaissance du français pour décrocher son AEC dans les cégeps anglophones

Les cégeps anglophones accueillent plusieurs étudiants dans leurs AEC. Les collèges privés non subventionnés ont aussi des étudiants locaux anglophones dans leurs AEC, mais ils en accueillent moins que les 4 cégeps anglophones au total.

En vertu du nouveau règlement, ces étudiants sont aussi touchés par l’exigence de la connaissance du français. Ce ne sont pas que les collèges privés qui inscrivaient beaucoup d’étudiants internationaux anglophones qui sont affectés. Par exemple, l’aventure montréalaise du Cégep de la Gaspésie et des Îles en sera aussi affectée.

Je crois que la clientèle des cégep va aller se former ailleurs, toujours pour des formations de courte durée, là où il n’y a pas d’exigence de connaissance du français pour diplômer et où ils vont trouver le contenu qu’ils recherchent. Par exemple, ils iront à l’université. Ils pourraient aussi faire un programme en formation professionnelle. Naturellement, bien sûr, les cégeps anglophones vont servir les étudiants qui auront fait leur secondaire en anglais au Québec. Ils n’auront pas le choix, puisqu’ils vont perdre le marché des étudiants locaux unilingues anglophones qui n’auront pas été scolarisés au Québec.

En ce qui concerne les collèges privés subventionnés, je crois que la clientèle se comportera d’une façon analogue que celle des cégeps : elle se déplacera vers des formations de courte durée, là où il n’y a pas d’exigence de connaissance du français pour diplômer, comme je l’ai écrit plus tôt.

Qu’il s’agisse des cégeps ou des collèges privés subventionnés, les deux offrent des DEC. Je ne crois pas cependant que les uns et les autres tenteront de déplacer leur clientèle des AEC aux DEC, comme ce sont des produits différenciés.

À mon avis, dans le même ordre d’idées, la clientèle anglophone qui n’a pas été scolarisée au Québec desservie par les collèges privés non subventionnés se comportera comme celle des autres types de collèges, et optera, elle aussi, pour des formations courtes qui ne sont pas soumises à la même contrainte.